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Il n’y eut ni prophète, ni présage. Seulement un grondement lointain, profond comme un râle venu des entrailles du monde. Puis la terre se rompit, vomissant feu et fumée. Un cri sourd fendit les cieux, comme si le monde lui-même se rebellait contre ceux qui l’avaient trop longtemps dominé.
Les cendres noyèrent les étoiles, et dans un instant d’éternité suspendue, tout ce qui avait été bâti en siècles s’effondra en silence. Les tours devinrent poussière. Les murailles se mirent à pleurer des pierres. Le dernier souffle des anciens peuples s’éteignit dans l’écho d’un volcan en furie.
Ce n’était pas qu’une explosion. C’était une libération. Une faille, une brèche entre les mondes. Ce qui reposait sous la surface, enfermé depuis des âges, se déversa comme un venin. Le Néant prit forme — un être sans visage, une volonté sans voix, une malédiction sans nom.
Il ne conquit pas. Il s’infiltra. Comme une fièvre lente dans les veines du monde. Les lieux autrefois sacrés se mirent à pourrir. Le sol refusa les semences. Le feu refusa de chauffer. La lumière elle-même semblait hésiter à percer les nuages.
Des chants anciens résonnent encore dans certaines ruines, comme s’ils refusaient de mourir. On dit que si l’on tend l’oreille près des pierres noircies, on peut entendre les prières étouffées des moines, les rires étouffés des enfants disparus.
Mais ces voix ne viennent plus du passé. Elles sont… bloquées. Comme figées dans une boucle morbide. Le Néant ne laisse rien s’éteindre. Il enferme tout dans une éternité stérile, comme pour rappeler aux survivants ce qu’ils ont perdu — et ce qu’ils ne retrouveront jamais.
Ceux qui ont survécu ne l’ont pas fait par chance, mais par instinct. Ce ne sont ni des héros, ni des élus. Ce sont les méfiants, les endurcis, les silencieux. Ils ont appris à marcher dans la cendre sans laisser de trace, à boire l’eau noire sans mourir, à ne pas pleurer la nuit.
Les anciennes lois sont mortes. Il ne reste que des codes. Des pactes entre clans. Des accords sur des cendres encore tièdes. Chaque jour est une épreuve. Chaque aube est une menace. Et pourtant, dans l’ombre de ruines noires, on érige des refuges. Des foyers de fortune, faits de bois, d’os et de silence.
Il n’existe plus de royaume. Plus de capitale. Seulement des zones, marquées par des noms murmures : le Gouffre, la Mer des Cendres, la Dalle Oubliée, les Mornes Brûlées… Chacun y va de sa carte, de son territoire, mais le Néant ne reconnaît aucun titre. Il dévore sans distinction.
Les rares routes encore tracées mènent toutes au même lieu : la frontière entre le survivant et le damné. Et là, un vent glacial souffle des mots que personne n’ose traduire.
Dans ce chaos, une vérité s’impose : le monde ne sera plus jamais ce qu’il était. Il ne reste que ceux qui jurent de ne pas s’effondrer. Ceux qui acceptent que leur existence soit faite de combat, de faim, de cauchemars — mais aussi d’espoir rugueux, de fraternité et de vengeance froide.
Certains cherchent à reconstruire. D’autres à conquérir. Mais tous savent que le Néant les observe, attendant leur moindre faiblesse.
Il n’a pas besoin de trône, ni d’armées. Il est la peur dans les ombres, le frisson dans l’échine, la voix qui murmure quand tout s’endort. Et tant qu’il existera une cendre, une ruine, un souvenir... il survivra à travers nous.